Henri Matisse
Jeannette II
Found at
Christies,
Paris
Art Impressionniste & Moderne : OEuvres choisies, Lot 2
9. Apr - 9. Apr 2024
Art Impressionniste & Moderne : OEuvres choisies, Lot 2
9. Apr - 9. Apr 2024
Estimate: 100.000 - 150.000 EUR
Price realised: 189.000 EUR
Price realised: 189.000 EUR
Description
« J’ai commencé à travailler avec l’argile pour me reposer de la peinture, avec laquelle j’avais fait tout ce que je pouvais à ce moment-là, expliquait Matisse à Pierre Courthion en 1941. C’était pour mettre de l’ordre dans mes sensations et chercher une méthode qui me convenait vraiment. Quand je l’ai trouvée en sculpture, je l’ai utilisée aussi en peinture »
Henri Matisse, cité dans S. Guilbert, éd., Chatting with Henri Matisse, The Lost 1941 Interview, Los Angeles, 2013, p. 84-85.
Un an après la vente retentissante de Nu couché II, bronze issu de la collection particulière d'un membre de la famille Matisse (Christie’s Paris, 4 avril 2023, lot 26 ; prix réalisé : 4 482 000 €), la maison Christie's a l'honneur de se voir confier une nouvelle sculpture provenant de ce même patrimoine exceptionnel : Jeannette II. Antérieure à Nu couché II, que Matisse avait modelé à la fin des années 1920, Jeannette II s'inscrit dans une suite de cinq bustes féminins conçus entre 1910 et 1913, qui déclinent le même sujet dans des registres distincts. Si chacune de ces cinq versions constitue une sculpture parfaitement autonome, les Jeannette peuvent aussi se lire comme une série d'œuvres interdépendantes reflétant les différentes étapes du cheminement créatif de l'artiste. En ce sens, l'ensemble met à nu les rouages de l'évolution stylistique de Matisse au fil du temps : on y voit en effet se détailler son passage de la figuration à l'abstraction, une préoccupation qui se trouve alors au cœur de la pensée d'avant-garde. Dans un article intitulé ‘Matisse’s Five Jeannettes: An Experiment in Modernism and Abstraction’ (« Les cinq Jeannette de Matisse : une expérience en modernisme et en art abstrait » https://www.hasta-standrews.com/features/2016/10/23/matisses-five-jeannettes-an-experiment-in-modernism-and-abstraction ; 24 octobre 2016), l'historienne de l'art Mercedes Weidmer souligne explicitement que « les Jeannette de Matisse donnent à voir la manière dont un buste de femme glisse progressivement vers l'abstraction » dans la mesure où elles « […] rendent manifestes, une par une, les phases qui mènent à une stylisation toujours plus radicale ».
En 1910, Matisse jouit déjà d'une certaine renommée. Sa carrière de peintre lancée, il se hasarde alors (comme ses contemporains Picasso, Braque ou Miró) dans les trois dimensions de la sculpture pour en explorer la matérialité et les volumes. Selon Weidmer, « Matisse se serait laissé séduire par la sculpture parce qu'elle sortait littéralement ses œuvres de la représentation plane de la toile pour les lâcher dans l'espace réel » (Weidmer, ibid., 2016). Dès le premier buste – le plus réaliste – de Jeannette Vaderin, une voisine convalescente de Matisse à Issy-les-Moulineaux, l'influence d'Auguste Rodin se ressent fortement dans la manipulation de l'argile. Comme son prédécesseur, Matisse se détourne des surfaces lisses de la statuaire classique, au profit d'un modelage beaucoup plus brut qui confère une texture rugueuse à la peau du modèle. Ces irrégularités lui permettent de capter la lumière dans toute sa versatilité, afin de rendre la figure plus dynamique, plus vivante. Tant par son exécution que par son expressivité et sa finition, Jeannette I n'est d'ailleurs pas sans rappeler le buste d'Ève Fairfax, sculpté par Rodin en 1904-1905.
Si Jeannette II demeure relativement naturaliste par rapport aux trois versions qui la succèdent, ici, le visage est déjà sensiblement simplifié et distordu comparé à celui de Jeannette I. Matisse réalise cette deuxième version à partir d'un moulage de la première, qu'il retravaille au couteau, afin d'obtenir un résultat plus cru et des traits volontairement moins délicats. Le nez, les yeux et la bouche ont été grossis et déformés, à tel point que le regard semble désormais absent et l'expression ambigüe. Matisse se montre, pour ainsi dire, davantage intéressé par le style, la texture et la forme de sa sculpture que par son sujet, si bien que le modèle devient de plus en plus méconnaissable de buste en buste, jusqu'à atteindre le comble de la schématisation avec Jeannette V. Le faciès de Jeannette sert ainsi de simple prétexte à une recherche formelle : l'exploration d'un style inédit, qui consiste à dépouiller la figure de tout détail superflu (traits de caractère, attributs, émotions, symboles), pour n'en conserver et n'en souligner que l'essentiel. Comme nombre d'artistes en ce début de XXe siècle, Matisse est par ailleurs fasciné par l'art tribal (il détient d'ailleurs sa propre collection de masques traditionnels) : un intérêt dont témoignent nettement ces cinq Jeannette qui se figent et se déshumanisent d'une œuvre à l'autre. Dans ses notes de fonderie, Matisse parle même du « Masque de Jeannette » pour désigner Jeannette II : preuve, s'il en fallait, de son intention tout à fait consciente de rompre avec les contraintes de la représentation à l'occidentale, pour se tourner vers quelque chose de beaucoup moins figuratif.
Jalon incontournable dans l'évolution de Matisse vers une expression toujours plus abstraite, cette Jeannette II, numérotée 8/10, se distingue par sa qualité muséale évidente. Elle fait partie d'une édition de onze bronzes numérotés de 0/10 à 10/10, parmi lesquels l'exemplaire 2/10 est présentement conservé au Museum of Modern Art de New York et le 4/10 à la Scottish National Gallery of Modern Art d'Édimbourg ; le 5/10 se trouve au Los Angeles County Museum of Art et le 7/10 au Hirshhorn Museum & Sculpture Garden (Smithsonian Institute) de Washington ; quant au 10/10, il est abrité par le Musée Matisse de Nice.
“I took to clay in order to rest from painting, in which I had done absolutely everything I could for the moment,” Matisse explained to Pierre Courthion in 1941. “It was to put my sensations in order and look for a method that really suited me. When I’d found it in sculpture, I used it for painting.”
Henri Matisse, quoted in S. Guilbert, ed., Chatting with Henri Matisse, The Lost 1941 Interview, Los Angeles, 2013, p. 84-85).
Following the highly successful sale of another bronze by Matisse, Nu couché II, also coming from the collection of a member of the Matisse family (Christie’s, Paris, 4 April 2023, lot 26; price realized: € 4,482,000), Christie’s is proud to present a completely different sculpture by Matisse from the same prestigious provenance, Jeannette II. Nu couché II was conceived in the late 1920s, but Jeannette II is part of a series of five versions of Jeannette conceived between 1910 and 1913. Each of these five versions is a sculpture in itself but the succession of the five sculptures can be read as the different steps of the artist’s creative process. To some extent, when looking at the five Jeannettes, one delves into the mechanics of Matisse’s artistic evolution from figurative representation to abstraction, which was at the core of many avant-gardist art trends. In her article titled ‘Matisse’s Five Jeannettes: An Experiment in Modernism and Abstraction’, Mercedes Weidmer (https://www.hasta-standrews.com/features/2016/10/23/matisses-five-jeannettes-an-experiment-in-modernism-and-abstraction; 24 October 2016), the author clearly sums up that ‘Matisse’s Jeannette series demonstrates a progression of a woman’s head increasingly abstracted’, given that ‘the five heads of Jeannette are a literal progression towards increased abstraction, documented in stages’.
By 1910, Matisse was already a well-established painter but like other avant-garde artists such as Picasso, Braque, Miro and others, he ventured into the medium of sculpture, taking advantage of its three-dimensional physical materiality. As Weidmer writes, ‘Matisse would have found sculpture appealing because it literally brought his works out of representation on canvas into real space’ (Weidmer, ibid., 2016). It is clear even from the first Jeannette, which is the most faithful and naturalistic portrayal of Jeannette Vaderin, a young woman who was convalescing near Matisse’s home in 1910, that Matisse was strongly influenced by Auguste Rodin in terms of his approach to sculpture. Like Rodin, Matisse moved away from classical highly polished sculptures, modelling his sitter’s skin with a rough texture. That surface unevenness enabled him to catch the light in different ways and consequently to animate his figures with a certain liveliness. In that way, Jeannette I, is closely related to Rodin’s bust Miss Eve Fairfax of 1904-5 in terms of execution, lively appearance and finishing. - Atelier de l'artiste. | Pierre Matisse, New York (par descendance). | Puis par descendance au propriétaire actuel.
Henri Matisse, cité dans S. Guilbert, éd., Chatting with Henri Matisse, The Lost 1941 Interview, Los Angeles, 2013, p. 84-85.
Un an après la vente retentissante de Nu couché II, bronze issu de la collection particulière d'un membre de la famille Matisse (Christie’s Paris, 4 avril 2023, lot 26 ; prix réalisé : 4 482 000 €), la maison Christie's a l'honneur de se voir confier une nouvelle sculpture provenant de ce même patrimoine exceptionnel : Jeannette II. Antérieure à Nu couché II, que Matisse avait modelé à la fin des années 1920, Jeannette II s'inscrit dans une suite de cinq bustes féminins conçus entre 1910 et 1913, qui déclinent le même sujet dans des registres distincts. Si chacune de ces cinq versions constitue une sculpture parfaitement autonome, les Jeannette peuvent aussi se lire comme une série d'œuvres interdépendantes reflétant les différentes étapes du cheminement créatif de l'artiste. En ce sens, l'ensemble met à nu les rouages de l'évolution stylistique de Matisse au fil du temps : on y voit en effet se détailler son passage de la figuration à l'abstraction, une préoccupation qui se trouve alors au cœur de la pensée d'avant-garde. Dans un article intitulé ‘Matisse’s Five Jeannettes: An Experiment in Modernism and Abstraction’ (« Les cinq Jeannette de Matisse : une expérience en modernisme et en art abstrait » https://www.hasta-standrews.com/features/2016/10/23/matisses-five-jeannettes-an-experiment-in-modernism-and-abstraction ; 24 octobre 2016), l'historienne de l'art Mercedes Weidmer souligne explicitement que « les Jeannette de Matisse donnent à voir la manière dont un buste de femme glisse progressivement vers l'abstraction » dans la mesure où elles « […] rendent manifestes, une par une, les phases qui mènent à une stylisation toujours plus radicale ».
En 1910, Matisse jouit déjà d'une certaine renommée. Sa carrière de peintre lancée, il se hasarde alors (comme ses contemporains Picasso, Braque ou Miró) dans les trois dimensions de la sculpture pour en explorer la matérialité et les volumes. Selon Weidmer, « Matisse se serait laissé séduire par la sculpture parce qu'elle sortait littéralement ses œuvres de la représentation plane de la toile pour les lâcher dans l'espace réel » (Weidmer, ibid., 2016). Dès le premier buste – le plus réaliste – de Jeannette Vaderin, une voisine convalescente de Matisse à Issy-les-Moulineaux, l'influence d'Auguste Rodin se ressent fortement dans la manipulation de l'argile. Comme son prédécesseur, Matisse se détourne des surfaces lisses de la statuaire classique, au profit d'un modelage beaucoup plus brut qui confère une texture rugueuse à la peau du modèle. Ces irrégularités lui permettent de capter la lumière dans toute sa versatilité, afin de rendre la figure plus dynamique, plus vivante. Tant par son exécution que par son expressivité et sa finition, Jeannette I n'est d'ailleurs pas sans rappeler le buste d'Ève Fairfax, sculpté par Rodin en 1904-1905.
Si Jeannette II demeure relativement naturaliste par rapport aux trois versions qui la succèdent, ici, le visage est déjà sensiblement simplifié et distordu comparé à celui de Jeannette I. Matisse réalise cette deuxième version à partir d'un moulage de la première, qu'il retravaille au couteau, afin d'obtenir un résultat plus cru et des traits volontairement moins délicats. Le nez, les yeux et la bouche ont été grossis et déformés, à tel point que le regard semble désormais absent et l'expression ambigüe. Matisse se montre, pour ainsi dire, davantage intéressé par le style, la texture et la forme de sa sculpture que par son sujet, si bien que le modèle devient de plus en plus méconnaissable de buste en buste, jusqu'à atteindre le comble de la schématisation avec Jeannette V. Le faciès de Jeannette sert ainsi de simple prétexte à une recherche formelle : l'exploration d'un style inédit, qui consiste à dépouiller la figure de tout détail superflu (traits de caractère, attributs, émotions, symboles), pour n'en conserver et n'en souligner que l'essentiel. Comme nombre d'artistes en ce début de XXe siècle, Matisse est par ailleurs fasciné par l'art tribal (il détient d'ailleurs sa propre collection de masques traditionnels) : un intérêt dont témoignent nettement ces cinq Jeannette qui se figent et se déshumanisent d'une œuvre à l'autre. Dans ses notes de fonderie, Matisse parle même du « Masque de Jeannette » pour désigner Jeannette II : preuve, s'il en fallait, de son intention tout à fait consciente de rompre avec les contraintes de la représentation à l'occidentale, pour se tourner vers quelque chose de beaucoup moins figuratif.
Jalon incontournable dans l'évolution de Matisse vers une expression toujours plus abstraite, cette Jeannette II, numérotée 8/10, se distingue par sa qualité muséale évidente. Elle fait partie d'une édition de onze bronzes numérotés de 0/10 à 10/10, parmi lesquels l'exemplaire 2/10 est présentement conservé au Museum of Modern Art de New York et le 4/10 à la Scottish National Gallery of Modern Art d'Édimbourg ; le 5/10 se trouve au Los Angeles County Museum of Art et le 7/10 au Hirshhorn Museum & Sculpture Garden (Smithsonian Institute) de Washington ; quant au 10/10, il est abrité par le Musée Matisse de Nice.
“I took to clay in order to rest from painting, in which I had done absolutely everything I could for the moment,” Matisse explained to Pierre Courthion in 1941. “It was to put my sensations in order and look for a method that really suited me. When I’d found it in sculpture, I used it for painting.”
Henri Matisse, quoted in S. Guilbert, ed., Chatting with Henri Matisse, The Lost 1941 Interview, Los Angeles, 2013, p. 84-85).
Following the highly successful sale of another bronze by Matisse, Nu couché II, also coming from the collection of a member of the Matisse family (Christie’s, Paris, 4 April 2023, lot 26; price realized: € 4,482,000), Christie’s is proud to present a completely different sculpture by Matisse from the same prestigious provenance, Jeannette II. Nu couché II was conceived in the late 1920s, but Jeannette II is part of a series of five versions of Jeannette conceived between 1910 and 1913. Each of these five versions is a sculpture in itself but the succession of the five sculptures can be read as the different steps of the artist’s creative process. To some extent, when looking at the five Jeannettes, one delves into the mechanics of Matisse’s artistic evolution from figurative representation to abstraction, which was at the core of many avant-gardist art trends. In her article titled ‘Matisse’s Five Jeannettes: An Experiment in Modernism and Abstraction’, Mercedes Weidmer (https://www.hasta-standrews.com/features/2016/10/23/matisses-five-jeannettes-an-experiment-in-modernism-and-abstraction; 24 October 2016), the author clearly sums up that ‘Matisse’s Jeannette series demonstrates a progression of a woman’s head increasingly abstracted’, given that ‘the five heads of Jeannette are a literal progression towards increased abstraction, documented in stages’.
By 1910, Matisse was already a well-established painter but like other avant-garde artists such as Picasso, Braque, Miro and others, he ventured into the medium of sculpture, taking advantage of its three-dimensional physical materiality. As Weidmer writes, ‘Matisse would have found sculpture appealing because it literally brought his works out of representation on canvas into real space’ (Weidmer, ibid., 2016). It is clear even from the first Jeannette, which is the most faithful and naturalistic portrayal of Jeannette Vaderin, a young woman who was convalescing near Matisse’s home in 1910, that Matisse was strongly influenced by Auguste Rodin in terms of his approach to sculpture. Like Rodin, Matisse moved away from classical highly polished sculptures, modelling his sitter’s skin with a rough texture. That surface unevenness enabled him to catch the light in different ways and consequently to animate his figures with a certain liveliness. In that way, Jeannette I, is closely related to Rodin’s bust Miss Eve Fairfax of 1904-5 in terms of execution, lively appearance and finishing. - Atelier de l'artiste. | Pierre Matisse, New York (par descendance). | Puis par descendance au propriétaire actuel.